Grâce aux musicologues et aux interprètes de la seconde moitié du 20e siècle nous ne résumons plus la musique du règne de Louis XIV à celle de Lully, quels que soient les mérites de celui-ci. Le siècle du Roi Soleil est aussi varié et brillant en musique qu’en littérature ou dans les arts plastiques. Outre Marc-Antoine Charpentier, Henry Du Mont, Michel Richard Delalande, Henry Desmarest, André Campra, Jean Gilles et Marin Marais l’ont illustré dans bien des genres : opéra, musique religieuse, musique instrumentale pour orgue, clavecin ou viole de gambe. Si Charpentier n’a pas occupé, de son vivant ni après sa mort, une position aussi brillante que Lully, notre époque a rendu justice à l’originalité de son œuvre.
Charpentier, d’origine modeste, se rend à Rome où il suit, vers 1665, l’enseignement du célèbre Giovanni Carissimi (dont le COP a chanté Jephté en juin 2013). De retour à Paris, il travaille pour la maison de Guise et pour les jésuites, en particulier pour leur église Saint Paul-Saint Louis et leur collège de Clermont (futur collège Louis-le-Grand). Il est apprécié du roi et sa musique est parfois exécutée à Versailles, sans qu’il y occupe jamais de fonctions officielles. S’il produit un opéra tel que Médée et collabore avec Molière pour Le mariage forcé ou Le malade imaginaire, l’essentiel de son œuvre, très abondante, est d’inspiration religieuse, comprenant messes, motets ou « histoires sacrées » sur le modèle de Carissimi, dont il garde l’esprit polyphonique et les audaces harmoniques.
Le programme d’aujourd’hui illustre le moment important pour le chrétien que constitue l’attente, puis l’arrivée de Noël : le Miserere et la première partie du Canticum expriment l’angoisse du pécheur et l’attente ardente du Sauveur qui viendra racheter les péchés de l’humanité. La fin du Miserere est dominée par la joie du pardon espéré et la deuxième partie du Canticum, par celle qu’inspire aux hommes, et d’abord aux hommes simples, ici représentés par les bergers, la bonne nouvelle du Salut. Le Concerto de Corelli suit également ce passage de l’angoisse à l’apaisement.
Miserere des jésuites (H. 193)
Composé en 1685, il est le plus important des quatre Miserere écrits par Charpentier. Il est bien sûr fondé sur le psaume 50 (51), souvent mis en musique en dépit d’un texte difficile. Nous reprenons, à quelques mots près, la traduction de Lemaître de Saci, dans sa Bible (dite de Port-Royal), qui reflète bien la façon dont le texte était alors interprété : ce janséniste contemporain de Charpentier, traduisant le texte latin de la Vulgate, s’est permis quelques ajouts (en italiques) pour le rendre plus clair. « Iniquité » signifie ici « culpabilité » : le traducteur conserve avec raison ce mot et ses dérivés pour respecter leur répétition insistante dans le texte latin.
Le roi David aurait composé ce psaume de pénitence dans un moment où il avait vraiment besoin de la miséricorde divine, après avoir transgressé deux des dix commandements : ayant commis l’adultère avec Bethsabée, il avait, pour l’épouser, sciemment envoyé son mari trouver la mort dans une mission désespérée. Le psaume met avant tout l’accent sur la culpabilité du pécheur et l’intensité de sa détresse (« esprit brisé, cœur contrit et humilié ») qui peut lui valoir le pardon de Dieu, après quoi le pécheur repenti « enseignera les voies de Dieu aux iniques et les impies se convertiront [ou : seront convertis] ». Ces mots, que la musique met en valeur, prennent une résonance particulière en 1685, année de la révocation de l’Édit de Nantes, mesure obligeant les protestants à se convertir sans même (théoriquement) pouvoir quitter le pays.
La fin du psaume présente une nouvelle difficulté quand il passe brusquement de la situation de David, exclu du sacrifice par ses crimes, à celle du peuple hébreu exclu du sacrifice par l’exil à Babylone et qui ne pourra sacrifier qu’une fois revenu à Jérusalem et le temple reconstruit. Le psaume s’achève ainsi sur l’expression d’un grand espoir.
L’œuvre constitue un « grand motet », c’est à dire une pièce vocale et instrumentale sur un texte sacré où solistes, chœur et orchestre alternent et combinent leurs interventions, avec plus de continuité que dans une une cantate, aux morceaux séparés : ici, les épisodes s’enchainent selon un déroulement dramatique aux contrastes calculés. Charpentier emploie un chœur à six voix, dont trois de dessus (ici des sopranos), ce qui est plutôt rare et permet des effets particuliers.
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