Quoi qu’li en soit, le texte du psaume offre aux musiciens de belles possibilités de contrastes entre violence (« il broiera les rois, brisera les têtes de bien des hommes... ») apaisement (« il boira au torrent »), ardeur et solennité. Le jeune Haendel, qui a 22 ans lorsqu’il écrit cette œuvre, y manifeste la maîtrise des moyens qu’il a hérités de l’Italie moderne (Carissimi, Stradella, Steffani, Alessandro Scarlatti) et de la tradition germanique (emploi de motifs en valeurs longues rappelant le choral protestant ou des thèmes grégoriens). Comme ses contemporains italiens, il alterne les airs accompagnés (de style moderne) et les chœurs où la polyphonie est plus développée (de style ancien).
Ce motet frappe par certaines audaces harmoniques (la suspension brusque sur un fa# dans le premier mouvement) et par la vigueur rythmique qui anime l’ensemble et qui est une caractéristique de la manière haendelienne. Peut-être lui manque-t-il encore l’épaisseur de la matière instrumentale et harmonique, cette heureuse plénitude sonore qui constituera un des grands charmes de son style et que l’on entend dans les Chandos Anthems.
1 - chœur, alto et soprano
Dixit Dominus Domino meo :Sede a dextris meis,Donec ponam inimicos tuosscabellum pedum tuorum. Le Seigneur a dit à mon SeigneurAssieds-toi à ma droiteJusqu’à ce que je fasse de tes ennemisun escabeau pour tes pieds.
Le premier mouvement commence par une vigoureuse introduction très rythmée aux cordes, que suivent les interventions alternées du chœur et des solistes. La fin du mouvement redonne la parole aux cordes.
2 - air pour alto
Virgam virtutis tuae emittet Dominusex Sion.Domina in medio inimicorum tuorum.Le sceptre de ta puissance, le Seigneur l’enverra depuis Sion. Domine au milieu de tes ennemis.
Le morceau se développe en multipliant progressivement les vocalises.
3 - air pour soprano
Tecum principium in die virtutis tuae,In splendoribus sanctorum ;Ex utero ante luciferum genui te. Qu’avec toi soit le pouvoir au jour de ta puissance,Dans les splendeurs des hommes de la vraie foi ;De mon ventre, dès l’aurore, je t’ai engendré.
L’air repose sur une ritournelle de rythme ternaire d’où la soprano se détache pour dérouler ses vocalises. L’adéquation de de cet air, comme du précédent, avec le texte évoquant l’autorité du souverain peut paraître approximative : Haendel a sans doute plutôt cherché le contraste avec le début du mouvement suivant.
4 - chœur
Juravit Dominus et non paenitebit eum : Le Seigneur l’a juré et ne s’en repentira pas :
Les blocs homophones suggèrent solennellement la puissance du Seigneur et l’irrévocabilité de son serment (et non paenitebit eum, où l’on notera la mise en valeur de non) est affirmée sur un tempo beaucoup plus rapide.
5 - chœur
Tu es sacerdos in aeternumSecundum ordinem Melchisedech. Tu es prêtre pour l’éternitéSelon le modèle de Melchisédech.
Haendel oppose ici le caractère statique de la première séquence (une phrase mélodique simple montant vers l’aigu : Tu es sacerdos) avec la rapidité de la seconde, secundum ordinem Melchisedech (qui, au départ, présente une mélodie descendante).
6 - chœur
Dominus a dextris tuis ;Confregit in die irae suae reges.Judicabit in nationibus ;Implebit ruinas,Conquassabit capita in terra multorum. Le Seigneur est à ta droite ;Il a brisé les rois le jour de sa colère.Il jugera les nations [= les païens] ;Il [les] remplira de ruines,Il fracassera sur la terre les têtes de beaucoup.
C’est encore le chœur qui évoque la colère du Seigneur et introduit des figuralismes sur confregit reges (« Il a brisé les rois ») ; judicabit in nationibus est traité en style polyphonique ancien avant qu’un trait de cordes énergique n’introduise l’évocation d’une sorte d’ouragan provoquant les ruines sur son passage ; puis le silence se fait sur le champ de ruines avant qu’un figuralisme (comme une suite de coups de pilon) illustre une nouvelle action violente du Seigneur : conquassabit capita multorum.
7 - deux sopranos et chœur
De torrente in via bibet ;Propterea exaltabit caput. A l’eau du torrent en [sur le] chemin il boira ;A cause de cela il lèvera la tête.
L’atmosphère change radicalement, évoquant un paisible repos, sans que le compositeur ait, comme d’autres, tel A. Scarlatti, cherché à illustrer le flux du torrent. Le dialogue des deux sopranos est soutenu par des séquences homophones (et sur un rythme de noires répétées) du chœur.
8 - Chœur
Gloria Patri et Filio et Spiritui SanctoIn saecula saeculorum . Amen. Gloire au Père, au Fils et au Saint-EspritDans les siècles des siècles. Amen.
La doxologie finale (glorification de Dieu) est d’abord exposée successivement par les sopranos et les ténors, puis elle est soutenue par les valeurs longues d’un motif de type grégorien exposé par les basses, puis par les autres voix tandis qu’à leur tour les basses reprennent le mélisme de Gloria. L’œuvre se termine par une fugue sur un motif très rythmé (sur In saecula saeculorum) composé de notes répétées suivies d’un motif tournoyant : le tout confère à ce final une allure particulièrement joyeuse.
Traduction du psaume 110 par Edouard Dhorme (bibliothèque de la Pléiade)
1 - Oracle de Iahvé à mon Seigneur :« Assieds-toi à ma droite,jusqu’à ce que je fasse de tes ennemisl’escabeau de tes pieds ! »`2 - Iahvé étendra de Sion le sceptre de ta puissance :domine au milieu de tes ennemis !3 - En toi la noblesse, au jour de ta naissance,doté des honneurs sacrés, au sortir du sein,à toi, dès l’aurore, la rosée de ta jeunesse !4 - Iahvé l’a juré et il ne s’en repentira pas :« Tu es prêtre à jamaisà la manière de Melchisédech ».5 - Adonaï est à ta droite,il brise les rois, au jour de sa colère,il juge les nations : c’est plein de cadavres,dont il a brisé la tête sur l’étendue de la terre !6 - Au torrent il boira sur la route,c’est pourquoi il lèvera la tête.